Crowdfunding et prise en charge des condamnations judiciaires

Peut-on utiliser une cagnotte en ligne pour financer les conséquences d’une infraction ? 

N’importe quel individu répondrait « non », instinctivement. 

Effectivement.

Mais sur quel fondement juridique ? 

Vous avez certainement entendu parler, aux journaux télévisés ou à la radio de l’article 40 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Il se situe au sein du paragraphe 5 « Publications interdites, immunités de la défense » et dispose : 

« Il est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, des amendes forfaitaires, des amendes de composition pénale ou des sommes dues au titre des transactions prévues par le code de procédure pénale (…) sous peine de six mois d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ou de l’une de ces deux peines seulement (…) ».

Donc si l’annonce de la cagnotte possède un tel objet, elle est constitutive d’une infraction pénale. 

Quid de la cagnotte mise en place au « soutien à Christophe D, le « boxeur Gilet Jaune » » ?

Selon l’annonce, son objet est de  « soutenir sa famille et lui montrer la solidarité du peuple des Gilets Jaunes, du vrai peuple français ».

Certes, il n’y a aucune annonce publique, expresse, d’une future indemnisation susceptible d’être due en cas de reconnaissance de culpabilité au sens de l’article 40.  

Mais, on ne peut douter qu’une telle cagnotte entre dans le cadre de ce texte. 

En effet, que comprendre par ce terme « soutenir » ? Si ce n’est un soutien financier pour prendre en charge les futurs honoraires du conseil de Monsieur DETTINGER (qui n’est pas visé par ces interdictions) et les éventuelles condamnations civiles susceptibles d’être allouées aux parties civiles si sa culpabilité est déclarée.

C’est d’ailleurs le sens que leur donne la plupart des commentaires des donateurs :  » Aider sa famille à vivre durant la détention «  ; « ce don a pour but sa défense pour se payer un bon avocat et pour aider sa famille durant le temps de son incarcération «  ;  » Christophe va en avoir grand besoin pour sa défense  » ;  » Ma participation pour lui payer les frais d’avocat, ses frais de justice et son salaire perdu  » ; « Que cela puisse vous aider à vous défendre… » etc. 

Et, si l’on reprend le discours du General Manager de LEETCHI, Benjamin BIANCHET, interrogé sur le déblocage de la cagnotte :

« Pour débloquer les fonds, il faudra que l’organisateur nous fournisse un devis, une facture ou des factures, en fonction des frais de justice et, à ce moment-là, on fera le versement directement sur le compte de l’avocat »

https://www.tf1.fr/tmc/quotidien-avec-yann-barthes/videos/gilets-jaunes-boxeur-de-gendarmes-christophe-dettinger-pourra-t-utiliser-cagnotte.html

Il ne semble plus y avoir de doute, du moins si les honoraires de son conseil ne s’élève pas à cette somme…

  • Attention toutefois, il est préférable pour l’avocat de percevoir directement les honoraires de son client (l’avocat doit refuser le paiement de ses honoraires par un tiers). C’est donc au client de percevoir les sommes recueillies ; qui constituent pour lui un don au plan fiscal. 

Donc, on peut créer une cagnotte en ligne pour financer les honoraires (prévisibles) d’un avocat mais pas pour régler des éventuels dommages et intérêts. La déontologie de l’avocat devrait garantir le respect de cette interdiction. 

Que disent les CGU du site LEETCHI ?

Si l’on reprend les CGU du site LEETCHI et particulièrement l’article 26.1 selon lequel :  » Vous ne pouvez pas utiliser le Site pour des activités qui: (…) sont liées à des transactions impliquant (…) f) la promotion de la haine, violence (…)  » ; il est patent que de très nombreuses transactions promeuvent ou à tout le moins attisent des discours haineux voire violents. 

En effet, là encore si l’on reprend certains commentaires:

  1. Que ce soit en faveur de la cagnotte : « Pour la dignité des bouseux de la gueule!« ; « Ces poings d’or qui nous montrent le chemin… » ; « Je fais un don car ce n’était que de légitime attaque (…) » ; « il ne faut rien lâcher; nous sommes en 1787; il a fallu 2 ans avant que tout s’effondre; ça prendra le temps que ça prendra; mais on dansera encore la carmagnole » ; « Tous les mouvements insurrectionnels ce sont accompagnés de violences et hélas, en France, tous les progrès sociaux ce sont faits dans la violence » ; « enfin quelqu’un qui ose réellement leurs casser la gueule, bravo » ; « Tu as eu raison on devrais tous faire pareil » ; « merci de votre action contre les mercenaires des collabos du 4e Reich… » ; « Ils veulent en faire un exemple, ils en feront un martyr » ; « Love your friends, hate the police. Force aux GJ » ; « Gloire à Christophe. Gloire à la France. À bas la République ! Gilets Jaunes unis !« , etc.
  2. Ou contre celle-ci : « Je participe de 0.10€ en espérant que ce pauvre type se prenne la peine maximale prévue par le code pénal » ; « Je te donne 0,1€ espèce d’ordure décérébrée. Je te laisse vivre avec le fric que ces méchants riches qui payent pour toi« , etc.

Un certain nombre de transactions constituent, au sens de l’article 26.1, des « activités interdites »

Finalement, ce qui est intéressant par ce procédé, c’est autant l’étude de cet aspect du Crowdfunding, que ce qu’il révèle : de nouvelles pistes de réflexion sur la présomption de culpabilité 2.0 ou sur la prévisibilité de la peine. 

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